The prisoner of Shark Island (1936) de John Ford

Où l'on comprend ce qui fait la force de John Ford !
Film racontant, de manière très libre, le destin du docteur Samuel Mudd, sudiste possèdant une exploitation agricole en plus de son travail de médecin, ayant a soigner sans qu'il ne sache de qui il s'agissait, la jambe que vient de se casser dans sa fuite, le meurtrier du Président Lincoln.
Le film comporte deux parties égales en temps. Tout d'abord le récit de ces évènements et du contexte historique dans lequel ils se déroulent, suivi de la manière dont le procès militaire des coupables et présumés coupables va se dérouler. Ensuite, l'histoire raconte l'emprisonnement de Mudd, sa tentative d'évasion et les évènements qui vont l'amener à obtenir une réhabilitation pour son accusation injuste.
La seconde partie est de loin la plus romancée et qui prend le plus de libertés avec la vérité historique. Ford y expose ses valeurs fétiches telles que la loyauté, le patriotisme, la rédemption, le pardon et une certaine conception de l'égalité entre les hommes (disons qu'elle est fonction du contexte de l'époque du tournage), mais le tout en appuyant le trait d'une manière qui date un peu jusqu'à rendre désuette la démonstration pour un spectateur du 21° siècle. En revanche, l'aspect mélodramatique de cette seconde partie est très efficacement racontée.
Mais, mais , mais, il y a un mais qui fait que ce film est absolument à voir au-delà des réelles qualités de cette seconde partie, et oui vous avez bien compté, je n'ai pas encore parlé de la première partie du film ! Bon sang, Ford sait raconter une histoire. Ce n'est vraiment pas par hasard si ce type est au panthéon des réalisateurs avec une ribambelle de chef d'oeuvres comme La chevauchée fantastique, La prisonnière du désert ou L'homme qui tua Liberty Valance. Cette première partie est un modèle d'efficacité narrative. Il faut voir comment chaque plan définit une intention, chaque cadrage sert l'histoire, chaque personnage est immédiatement identifiable et cataloguable, chaque expression traduit une émotion précise. Il faut voir comment en si peu de plan il sait poser le contexte politique de l'immédiate après-guerre de sécession, avec quelle économie de moyen il sait poser une dramaturgie, comment en si peu de mots, si peu d'image il explique de manière si claire le pourquoi de la décision politique prise de faire intervenir une cour militaire et quelle vont en être les conséquences facheuses en terme de respect des droits de l'homme. C'est d'une splendide efficacité. C'est dense. Il n'y a pas de gras. Mais ce n'est pas arride ou clinique pour autant, bien au contraire car on s'identifie déjà aux personnages en éprouvant de l'empathie pour eux face au drame, à l'injustice qu'ils sont en train de vivre. Empathie qui va permettre de déclencher une catharsis à la fin du film.
Et le plus fort, c'est que Ford n'oublie pas de ponctuer ce drame par de légères touches d'humour afin de laisser des temps de respiration aux spectateurs.
Bref, une bonne soirée de cinéma !
